mardi 31 janvier 2012

27. Les amitiés rescapés.

De manière générale, on ne se rend pas compte de l'importance de nos rencontres à leur début, ni même de leur force. On crée des liens, plus ou moins forts, avec certains. La plupart du temps, on ne réalise pas l'impact qu'une rencontre pourra avoir sur notre futur. Parfois, il y a de rares personnes qui nous touchent dès le premier instant. Le genre qui chamboule votre quotidien par mégarde et vous gonfle d'énergie sans raison apparente. En un rien de temps, on sait qu'elles seront de précieux alliés pour la vie.

Je m'imagine sans cesse que le temps finira par dénouer ces relations fragiles qui s'entremêlent, au nom de la distance ou je ne sais quel autre stratagème, comme ce fut bien trop souvent le cas. Et pourtant, il y a ces personnes. Celles qui restent malgré les tourments, les longs silences outre-Atlantique, et la vie qui suit son cours. Je prends conscience que ces dernières feront toujours partie de ma vie, d'une manière ou d'une autre. Et je réalise que je ne les en remercie pas assez.

Alors merci, à vous, les rescapés. Autant ceux de longue date que ceux qui viennent d'entrer dans ma vie récemment. Je sais que vous vous reconnaîtrez.

vendredi 27 janvier 2012

26. Boréalis et moi.

Je m’appelle Boréalis. Quelle est mon histoire? Eh bien, lorsque la flamme des Jeux d’hiver du Canada en 2007 a été éteinte, les enfants du Nord ont allumé des lanternes de son brasier et les ont laissées s’envoler vers le ciel nordique. C’est alors que je suis né! Et grâce à moi, l’amitié et l’excellence dans les sports ont survécus.

Les jeux d'hiver de l'Arctique auront lieu à Whitehorse du 4 au 10 Mars, juste avant mon départ pour l'Asie du Sud-Est. De ce fait, je me suis inscrite en tant que bénévole. Je me rend compte que vivre à l'étranger me donne cette capacité à me surpasser, à tenter des expériences que je n'aurais jamais considéré dans mon propre pays.
Aujourd'hui fut l'un de ces jours.

Je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre lorsque je me suis rendue au point de rendez-vous, tout sourire mais quelque peu stressée. Depuis toute petite, j'ai toujours eu peur du ridicule et du regard des autres. Me transformer en loup géant pour me pavaner dans la rue principale était alors un pari osé. A mon arrivée dans le bureau, j'ai fait la connaissance d'une autre volontaire chargée de guider Boréalis dans sa mission. Boréalis, c'est la mascotte des jeux d'hiver... soit moi perdue dans un costume de loup dont la tête est si grosse qu'il me sera difficile de garder mon équilibre. Sans perdre de temps, me voici à enfiler un pantalon noir d'une épaisseur incroyable, un tee-shirt de hockey aux couleurs des jeux d'hiver, des chaussures de la taille de ma tête et cette grosse tête de loup munie d'un couvre-chef. Dans la gueule du loup se trouve ma vision. Il est alors très difficile de regarder les gens dans les yeux sans donner l'impression que je ne désire qu'une chose: les manger. Le plus drôle, ce sont ces mains géantes que je n'arrive absolument pas à maîtriser. Je décide qu'avoir les bras ballants est encore la meilleure façon de ne pas décapiter quelqu'un par accident.

Malgré une température extérieure avoisinant les -30°C, j'ai la sensation désagréable d'être dans un sauna. Mes cheveux me collent au visage perlé de sueur. Plusieurs fois, il me faudra me rendre dans un lieu sûr pour retirer ma tête afin de faire en sorte d'y voir un semblant de quelque chose. Si ma compatriote n'était pas là, je me serais sûrement déjà faite écraser à maintes reprises. Et croyez-moi, personne ne veut être témoin de la mort de Boréalis, pas même ma propre personne !

Je me souviens particulièrement de ce petit garçon haut comme trois pommes. Sur plusieurs mètres, tout en me courant après, il tentera d'attirer mon attention en hurlant "bear !" sans interruption. Le temps pour ma compatriote et moi-même de se rendre compte qu'il fait référence à Boréalis et me voici confrontée à ce petit bout me serrant très fort dans ses bras tout en me disant je ne sais combien de "I like you bear". Je n'ai rien vu de plus adorable que l'innocence de ce geste. Si bien que son admiration se reflète encore dans mon museau à l'heure actuelle...

dimanche 22 janvier 2012

Photos #15 : Yukon River bis.

Yukon River - Whitehorse, Yukon, CANADA.

dimanche 15 janvier 2012

25. Les matins frigorifiques.


Ce matin, je dois me rendre au restaurant de très bonne heure.

J'aime parcourir la ville à cette heure où la majorité de ses habitants dorment encore. Cette sensation qu'elle est mienne m'est très agréable. De par la solitude envahissante à cette heure de la journée, il n'est pas difficile de se penser invincible... et pourtant. Le thermomètre affiche un beau -43°C. Je risque de sentir chacun de ces degrés négatifs à chaque coup de pédale. Comme souvent, je ne manque pas d'emporter mon appareil photo avec moi, il serait dommage de ne pas capturer la beauté de la fraîcheur matinale. Petit-déjeuner dans l'estomac, emmitouflée sous plusieurs couches de protection, je met le nez dehors. Le thermomètre ne mentait pas, il fait vraiment froid ce matin. Après quelques minutes de batailles acharnées entre mes poumons et ma détermination, j'abandonne la partie et met pieds à terre. Les gars devront commencer sans moi. Il m'est impossible de pédaler par ce froid, je risquerai d'y perdre un poumon si ce n'est les deux. Et les bus n'étant pas encore en service, je vais devoir patiemment marcher jusqu'à destination... A peine un tiers du chemin total parcouru et me voici confrontée à un tableau des plus radieux. Il fait si froid que la rivière en recrache une épaisse couche de vapeur. Quitte à être en retard, autant en profiter. Je sors mon fidèle compagnon du sac et entreprend de capturer ce magnifique spectacle. Le dit compagnon me lâche après une dizaine de clichés, il fait trop froid pour lui aussi. Je contemple cette froideur, longe la berge, et arbore mon plus beau sourire pour celui qui sait ravir mes pupilles comme aux premiers jours.

Trente minutes plus tard, j'ouvre la porte de service les joues rosies, les cils littéralement gelés, à bout de souffle. Je m'excuse platement pour mon heure de retard et explique qu'il n'est pas donné à tout le monde de faire sortir le sportif qui gît en soi par ce froid. Je me fais réprimander pour avoir oser prendre mon vélo par cette température. Je souris de toutes mes dents, consciente du ridicule de ma décision. Les gars me font promettre de mettre le vélo au garage pour le reste de la saison; si besoin, ils s'occuperont de venir me chercher.

Deal !

vendredi 13 janvier 2012

24. Don't try.

Charles Bukowski a un jour donné ce conseil à ses fervents lecteurs: Don't try.

Et bien qu'il parlait clairement de l'écriture, je pense que ce conseil peut facilement s'appliquer à toute chose de la vie... et ce sans retenue. Car il est évident que le plaisir nous quitte dès l'instant où la spontanéité s'en est allée. Et faire les choses sans plaisir reviendrait presque à ne rien faire du tout, d'un certain point de vue.

Ce qui est intéressant avec la spontanéité, c'est qu'elle ne demande aucun courage. La spontanéité est courage. Après tout, nous aurons bien le temps de réfléchir une fois que nous serons morts et enterrés.

Ne vaut-il pas mieux profiter de l'instant présent sans se préoccuper du reste ?

Il est évident que cela risque de nous apporter son lot de surprises, bonnes comme mauvaises. Mais qu'importe puisque sur l'instant présent, c'est ce qui nous rend heureux. N'est-ce pas là le plus important ?







Bref, dans un peu moins de deux mois, je serai quelque part en Asie du Sud-Est. La spontanéité m'a reprise.

mardi 10 janvier 2012

Intermède #5 : Charles Bukowski.

So, you want to be a writer ? de Charles Bukowski.
Poème extrait de Sifting through the madness for the Word, the line, the way.


if it doesn’t come bursting out of you
in spite of everything,
don’t do it.

unless it comes unasked out of your
heart and your mind and your mouth
and your gut,
don’t do it.

if you have to sit for hours
staring at your computer screen
or hunched over your
typewriter
searching for words,
don’t do it.

if you’re doing it for money or
fame,
don’t do it.

if you’re doing it because you want
women in your bed,
don’t do it.

if you have to sit there and
rewrite it again and again,
don’t do it.

if it’s hard work just thinking about doing it,
don’t do it.

if you’re trying to write like somebody
else,
forget about it.

if you have to wait for it to roar out of
you,
then wait patiently.

if it never does roar out of you,
do something else.

if you first have to read it to your wife
or your girlfriend or your boyfriend
or your parents or to anybody at all,
you’re not ready.

don’t be like so many writers,
don’t be like so many thousands of
people who call themselves writers,
don’t be dull and boring and
pretentious, don’t be consumed with self-
love.
the libraries of the world have
yawned themselves to
sleep
over your kind.
don’t add to that.
don’t do it.

unless it comes out of
your soul like a rocket,
unless being still would
drive you to madness or
suicide or murder,
don’t do it.

unless the sun inside you is
burning your gut,
don’t do it.

when it is truly time,
and if you have been chosen,
it will do it by
itself and it will keep on doing it
until you die or it dies in you.

there is no other way.

and there never was.




Pour je ne sais quelle raison, j’ai toujours été transcendée par Charles. Peut-être parce que ses mots crèvent tant de spontanéité que de vérité. Ceci explique mon absence parfois prolongée sur la toile. Ces longs silences pendant lesquels la spontanéité de l’écriture m’a échappée. Ces moments où je ne veux et ne peux me forcer à coucher les mots sur le papier. Un jour, tout prend son sens et ma capacité à laisser mes doigts vagabonder sur le clavier avec aise et entrain me revient. Un jour.

lundi 9 janvier 2012

23. Le manque et l'alcool.

I just wanna be okay, be okay, be okay, I just wanna be okay today...

Parfois, les choses deviennent plus compliquées dans notre esprit que ce que nous espérions. Parfois, le passé entrecoupe le présent de ses tintements assourdissants. Parfois, se laisser aller au présent n'est pas aussi facile que ce que nous avions imaginé. J'aimerais tellement te prendre dans mes bras sans que l'alcool ne coule à flots dans mes veines. Tellement te sentir près de moi quand je suis en fait si loin. Tellement te laisser la chance d'emporter mon esprit vers d'autres horizons...

Mais il me manque, et tu n'y peux rien.

vendredi 6 janvier 2012

22. Betty et les autres.

Elle s'appelle Betty et porte les cheveux à la garçonne, comme dans les années folles. Son grain de folie est d'ailleurs sûrement ce qui fait d'elle une femme formidable pour son âge. Alors qu'elle avoisine les 80 ans, elle a l'âme d'une adolescente de 15 ans. Je viens la voir, elle et tous ses compagnons de galère, chaque lundi, mardi et jeudi depuis quelques temps. Parfois, je passe même le reste de mon temps libre ici, à construire des puzzles de 1000 pièces tout en défiant le côté borné de certains. Je n'aurais jamais cru avoir la patience et l'énergie de passer du temps avec des personnes âgées, et pourtant, c'est une des choses les plus enrichissantes qu'il m'ait été donné d'expérimenter jusqu'à présent.

Le lundi matin, je participe à leur classe de remise en forme en tant qu'assistante de l'éducatrice présente ; nous exécutons quelques exercices ayant pour but de garder leurs muscles actifs afin qu'ils ne soient pas frappés par l’arthrose, en autres maladies musculaires. Henry fait parti de ce cours, et je me demande souvent pour quelle raison ; à chaque séance ou presque, il brise un des élastiques que nous utilisons car il a bien trop de force. C'est alors très amusant de remarquer son sourire fier et à demi gêné. La vérité, c'est que ce cher Henry ne vient que dans le but d'impressionner les dames, et en particulier Betty. Il ne m'aura fallu que quelques jours à la pension pour comprendre le manège de ces deux chenapans. Entre regards, sourires, et insinuations coquines, ces deux là sont aussi drôles à voir que deux adolescents qui se cherchent.

Betty a le regard qui pétille lorsqu'elle parle de son passé. Ses souvenirs sont tellement détaillés qu'ils ne semblent pas si lointain. C'est d'ailleurs le cas pour la plupart de ces vieux que je viens visiter. Toujours le lundi, en début d'après-midi, nous jouons aux cartes. Généralement, ce sont des jeux qui visent à faire travailler leur mémoire. En une heure de temps, chacun en vient à raconter des bribes de souvenir à faire briller les yeux de n'importe quelle personne ayant un cœur. Je me rends compte que les personnes âgées ont bien plus de mémoire que notre génération n'en aura jamais. Alors qu'il m'est impossible de me souvenir clairement de ce qu'il m'est arrivé deux années auparavant, il leur est possible de raconter en détails des événements qui se sont produits de nombreuses années en arrière, lorsqu'ils n'étaient encore que de jeunes adultes à la découverte du monde. C'est assez impressionnant.

Le mardi matin se tient un petit cours de musique où je participe de temps à autre. Tous les présents chantent à l'unisson pour accompagner l'éducatrice qui est à la guitare. Ils ne sont parfois pas toujours en rythme, certains chantent faux, d'autres donnent au contraire l'impression d'avoir chanté toute leur vie... mais ils le font tellement tous de bons cœurs que ça réchauffe mon petit cœur.

Le jeudi après midi est le jour des sorties, si les températures sont clémentes bien évidemment. Dans un mini bus, nous partons à la conquête de la ville : bibliothèque, marchés, cafés... Et si le temps ne nous le permet pas, nous restons à la pension et je discute avec certains, construis des puzzles avec d'autres, et bien d'autres choses. J'ai l'impression d'avoir une panoplie de grand-parents pour moi toute seule. Quelque part, cela me rend triste. Je me rends bien compte que je n'ai jamais réellement passé de temps avec mes propres grand-parents. Ou tout du moins, pas assez.

Aussi étrange que cela puisse paraître, chaque visite là-bas me regonfle d'énergie, d'espoir et d'une rage de vivre incroyable. Et je pense que cela va dans les deux sens. Lorsqu'ils m'aperçoivent, Betty et les autres ont le sourire jusqu'aux oreilles. Un sourire pure et sans arrière pensée.